Le couscous et le raisin blanc : épisode 2
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C’est seulement vers midi que le pélerin démuni sortit du poulailler et les deux mâles s’y retrouvèrent devant. Dans un élan d’amabilité, lors des salutations d’usage, le malfaiteur demanda si le chemin avait été long. Le pélerin lui donna alors le motif de son voyage. Cet échange eut lieu sur le ton flegmatique ancestral des gens du cru.
Le malfaiteur invita ensuite son hôte à partager son repas, et lui servit un plat de 99 grains de couscous. Lorsqu’il eurent mangé, il déclara solennellement :
- Quand tu rencontreras le messager de Dieu, demande-lui pour moi, s’il te plaît, quelle sera ma place en Enfer. Car j’ai commis 99 crimes à ce jour.
Le pélerin hocha la tête en souriant, accepta de satisfaire cette requête, et prit congé.
Sa route traversa une multitude de villages de la vallée d’Ameln. Il fut à chaque fois accueilli selon la loi de l’hospitalité qui règne dans ces contrées depuis les temps immémoriaux.
La dernière nuit avant l’ascension de la montagne de l’Est, il fut réveillé en sursaut, son corps secoué de long en large, par une onde spasmodique. Trempé de sueur, il plasmodia des versets sacrés et se rendormit. Il avait rêvé qu’un lion le dévorait. A cette époque le félin appelé “le lion de l’Atlas” peuplait les pentes escarpées d’où il capturait aiément sa pitance. Depuis cette époque spécifique, il a été décimé par la main de l’homme.
Afin d’atteindre le sommet dans un état de purification et en adéquation avec sa spiritualité, le pélerin décida de jêuner. Il partit aprés la prière du matin, dont l’heure se repère soit au premier chant du coq, soit à l’étoile du sud, appelée “Amanar”. Le rocher qu’il escalada était une roche de granit rose, gris par endroit, qui abritait une grande variété d’animaux plus ou moins dangereux: l’écureuil brun “Anzid”, le mouflon “Udad”, le scorpion(jaune ou gris) “Ighirdm”, la hyène “Ifis”, le hérisson “Ansi”, le porc-épic “Tarucht”, la gazelle “Aznkwd”, des serpents”Ilgwmadn”,…
Toute cette faune plus ou moins connue de lui défila devant son regard attentif et prudent, durant cette longue journée d’escalade presque ininterrompue.
Son soulagement fut immense, lorsqu’au coucher du soleil, il atteignit, sain et sauf, la masure d’ermite où il souhaitait passer la nuit. Il savoura le spectacle inédit du soleil rougeoyant dans un ciel limpide, et huma avec ravissement la pureté de l’air frais. Poussant la porte de la baraque, il fut surpris de découvrir, au centre de la pièce unique, assis à une table ronde, un homme âgé, avec une barbe blanche, au visage frippé, comme si chaque ride allait raconter une histoire vécue.
Sans manifester de surprise, le sage lui fit signe de prendre place à ses côtés et commença un rituel de recueillement. Instinctivement, le pélerin reproduisit son geste de mains réunies ouvertes en offrande. Ils récitèrent des paroles qui rendaient grâce à la bonté de Dieu. Sous les yeux émerveillés du démuni, une grappe de raisin et un morceau de pain se matérialisèrent et descendirent dans ses mains. Il reçut du raisin noir et du pain de blé. Le sage reçut du raisin blanc et du pain d’orge. C’était la nourriture que Dieu accordait à cet homme pieux, trois fois par jour, en récompense de sa grande sa piété depuis de nombreuses années.
Le pieux, éprouvant le désir de varier son menu, échangea sa part avec celle de son voisin. Chacun ayant dégusté en silence ses mets inespérés, ils devisèrent en attendant la prière du soir. L’un s’enquit des nouvelles de la vallée, l’autre d’enseignement divin. Le pélerin se sentait profondément imprégné de la spiritualité du lieu. Il passa une nuit paisible et reposante.
Au matin, il connaissait exactement la direction à prendre, ressentant qu’une vision de son chemin lui avait été donnée. Au moment de se séparer de l’homme pieux, celui-ci murmura humblement :
- Quand tu rencontreras le messager de Dieu, demande-lui pour moi, s’il te plaît, quelle sera ma place au Paradis.
Fin du second épisode.